Les pneus du jet privé qui me transporte crissent le sol anglais de l'aéroport d'Heathrow. Peu à peu, je retrouve sous mes yeux vides le paysage de la capitale anglaise que j'avais quitté quelques mois plus tôt dans une folle fuite. Déjà près de quatre mois. Et ma vie n'est plus du tout celle que j'avais laissée en partant. Tout est allé si vite, si mal. J'ai l'impression d'être partie dix ans alors que ce n'était guère si long. Un retour au pays qui ne se fait pas sans blessures ni un certain remord. J'ai abandonné ma vie ici pour ne revenir qu'en était de ruines sous les façades de mes sourires, de mes apparitions officielles. La vie ici a continué sans moi, et qui sait ce que je vais y retrouver ? Sans doute des rancœurs encore vives d'être partie aussi brutalement, sans explications officielles. N'est-ce pas ce que je mérite, alors que je n'ai pas demandé la disparition de ma mère ? Parce que tout commence à partir de là, prend la source de ma souffrance, que même ma flûte de champagne sertie de glace n'effacera en aucun cas. Des "vacances" qui se sont retrouvées que le résultat d'un décès, et d'une longue suite d'erreurs. Le steward m'annonce que je suis arrivée et je lui réponds, tout aussi gentiment que le permet mon visage morné. « Merci Jake. Je vais pouvoir reprendre mes appels et mes dossiers, vous pouvez vous détendre, je prends mon relais. » Il me sourit alors qu'il me rend mes effets personnels, professionnels et que rapidement, je sors de l'appareil. Le soleil est encore haut dans le ciel et alors que mes pas s'approchent du grand bâtiment de l'aéroport, ma nouvelle confiance en moi fait disparaître les dernières traces de la jeune femme étudiante de Cambridge. Sous ma démarche féline et élégante, personne ne s'attend vraiment à ce que ma personnalité ait mûri à ce point ... Tout autant qu'elle en est plus brisée.




Je me rappelle encore de ses mains froides nouées aux miennes et le souffle fiévreux se mourant vers ma nuque. Nos chevelures blondes liées harmonieusement les mèches les unes contre les autres. Sa peau laiteuse et malade faisant contraste avec ma jeunesse en bonne santé. Ma douce maman, sur son lit de mort alors que je peine à garder ma vision claire tellement les larmes sont présentes. Je la sens doucement partir et je n'ai pas voulu la quitter. Je n'ai pas voulu me résigner à la laisser seule dans son départ. Foutu cancer qui m'enlève ce que j'ai de plus cher au monde. Voilà ce coup du destin qui me change du tout au tout, me faisant prendre conscience que j'étais sur le point de perdre le seul parent qui me reste. Mon père, assassiné dans un coup d'état il y a maintenant quelques années, allait être maintenant rejoint par cette femme forte qui l'aimait tant. Mal au coeur à en crever. Je l'entends encore dans mes chimères, à me répéter à quel point elle m'aime et qu'elle serait pour toujours fière de moi. Fière de moi alors que je ne suis qu'une pâle copie qui n'a que peine aujourd'hui de reprendre son flambeau. Quelques jours plus tard, ses plus proches conseillers et moi-même, nous enterrons ma chère maman, Nika. Ce sont officiellement les dernières larmes que j'ai versées devant les médias norvégiens. Mon seul repère s'en est allé et voilà que j'ai dû accélérer la fin de mes études, abandonner à contre coeur ma fibre artistique pour donner suite à son travail ainsi que tenir les reines de toutes les œuvres qu'elle a accompli de son vivant. Je m'en croyais tout bonnement capable, et le meilleur moyen à mes yeux de rendre justice à cette femme qui a tellement compté pour moi. Et tout s'est accéléré. Prise de poste officielle car sa reprise m'était due de par son testament. A peine le temps de recouvrer mon deuil et sans doute par folie d'avoir accepté, après avoir eu mes diplômes en poche et quelques semaines de vacances qui n'ont pas été d'un repos criant, je me retrouve avec un début de carrière d'employée au ministère norvégien avec une lettre de recommandation posthume de ma maternelle. Un travail qui ne me laisse que peu de place à ma vie privée puisque les tabloïds s'arrachent les clichés d'une personnalité qui enchaîne ses premières erreurs dans le monde du travail. Malgré que je sois diplômée, je n'ai pas l'expérience de ma mère et mes premiers dossiers professionnels et apparitions médiatiques ne sont pas à la hauteur des exploits de ma maman. En quelques semaines, et malgré toute ma bonne volonté et les approches de mes conseillers pour m'améliorer, cela ne se retrouve pas suffisant et je ne parvenais plus à remonter ma côte de popularité envers mon peuple qui m'a pourtant fait des éloges dans ma jeunesse. La presse m'accable sans rancœur en me décrivant comme « l'héritière Nørgenssen ratée ». Débâcle qui aurait pu avoir raison de mon coeur meurtri. Mais il n'en est rien. La détresse m'a forgée. La détermination aussi. Si j'ai eu mon diplôme sans trop de difficultés, ma notoriété politique, elle, je la regagnerai en redoublants d'efforts, et ce même si cela me prendra des années, et d'autres tôlées pour tout reconstruire, rebâtir la notoriété de ma mère que j'ai bafouée par mes erreurs.  


S'il y a bien une chose qui me permettait encore de tenir dans cette cavalcade, ce sont les douces pensées que j'échangeais avec les membres de la famille royale suédoise qui était aussi à moitié la mienne. Bien que peu de personnes ont été mises au courant de mon départ, il n'en reste que je n'ai pas définitivement coupé le contact avec mon demi-frère, Simon, qui m'a fait le bonheur de m'apprendre la naissance de sa fille, Fallon De Stockholm. Nouvelle princesse née le mois dernier, elle est une des raisons qui m'ont poussée à demander ma mutation pour un retour en terre anglaise. Mes racines arrachées par la mort de ma mère, la contrée des glaces qui m'a vue naître ne m'apparaît plus comme cette montagne d'échecs que je n'arriverais pas à gravir. Pas pour l'instant. Alors, autant partir en exil pour gagner plus d'expérience, peut-être pour pouvoir reprendre plus tard ce à quoi ma mère m'a désignée. Avec quelques relations, et l'aide de mon ancien professeur de politique internationale, je me ré-insère de nouveau en Angleterre en intégrant un poste à l'Ambassade de Londres que je reprends dès la rentrée. Pour l'heure, il me faudra reprendre mes marques avec mes anciennes habitudes anglaises, revoir de vieux visages, me refaire une vie ... Simplement, retrouver cette ambiance chaleureuse après de longs mois d'absence. Mais je me doute bien que cela ne sera guère de tout repos.