( without you, i feel broke, like i'm half of a whole )
les doigts encore ronds et potelés de l'enfance, le parfum tendre des bébés qui s'exhale de sa peau, et déjà, le poids de la couronne sur sa tête fragile. l'or était né sur son front à l'instant même où elle était venue au monde, droit de naissance, droit du sang, droit du nom. de stockholm, princesse de suède, régale au sang miroitant, créature divine comme arche d'alliance entre les cieux et les hommes. la couronne qui pesait lourd sur la tête d'enfant, les responsabilités qui écrasaient les épaules délicates.
sois irréprochable, sissi.
tiens-toi droite, sissi.
tu peux faire mieux, sissi.
toujours plus. toujours mieux. elle était une gemme polie par les doigts de ceux qui l'entouraient, façonnée et aiguisée pour devenir pierre brillante qui embellirait la couronne de suède.
elle, elle n'en voulait pas tellement, de tout ça, gamine paisible et simple. elle voulait pouvoir lire des heures durant. elle voulait la douceur des bras de sa mère et la fierté de son père. elle savait se contenter d'une vie sans l'or qui lui plombait le front.
mais c'était sa vie, et c'était elle.
elle les regarde défiler, les nobles et les diplomates dont elle connaît tous les noms. regarde leur valse millimétrée alors qu'ils déposent requêtes et offrandes au pied du roi. et elle, figée sur la chaise luxueuse, le dos si droit qu'il en devenait douloureux.
mais bientôt, c'est une petite menotte qui se referme sur son poignet, et elle sait. elle a toujours su. avant la vie et la lumière. l'être qu'elle a aimé avant même de connaître les lettres qui se détachent du mot.
freya, qui la contemple de ses grands yeux dorés. un reflet dans un miroir immatériel. freya, qui pétille d'une malice qu'elle lui connaît si bien. et elle se laisse entraîner, la gamine, suit sa cadette, et elles s'échappent de la salle bondée, les princesses.
et bientôt, elles roulent sur un matelas épais, et c'est leur cheveux identiques qui s'entremêlent, rivière d'ébène sur les draps ivoire.
'toi et moi, c'est pour toujours, freya. je te le jure.'
la promesse, murmurée dans les eaux de la rivière styx. il n'y avait pas de toujours.
( five stages of grief )
cinq étapes de deuil. déni. colère. négociation. dépression. acceptation.
DENI. le mot tombe, comme un couperet.
non. non, freya n'était pas morte car elle n'en avait pas le droit. elles étaient venues dans cette vie ensemble, les gamines, et elles en partiraient ensemble. il n'était ni théorème ni tables de lois qui pouvaient autoriser l'une à partir, et l'autre à rester.
freya n'était pas morte.
ce n'étaient que mensonges dans la bouche des inconnus qui l'entourent, alors même que son corps est brisé.
elle n'avait pas perdu son père et sa mère, n'avait pas perdu sa nation, n'avait pas perdu la meilleure partie de son âme.
tout n'était que cauchemar immense dont elle ne savait se réveiller.
alors elle ferme les yeux.
quand elle les rouvrira, tout ira bien.
mais il y avait le regret dans les yeux de simon.
non. tout ira bien.
COLERE. freya, créature traîtresse. freya, qui l'avait abandonnée, freya, qui était partie sans elle. freya, qui l'avait laissée sans même se retourner. freya, qui avait osé mourir.
antiroyalistes qui avaient fait couler le sang, pour leur faire payer le seul crime d'être nés avec une couronne sur la tête. antiroyalistes qui avait condamné son nom et sa naissance. antiroyalistes qui lui avaient tout pris. antiroyalistes qu'elle brûlerait tous si elle le pouvait.
simon qui n'avait su les protéger. simon qui n'avait su se battre et qui avait choisi l'exil. simon qui les avait poussés à fuir, pour qu'ils perdent un peu plus encore.
couronne qui avait tué les siens. couronne qui avait déchiré sa nation et fait payer des innocents. couronne qui lui pesait toujours un peu plus, comme le poids de milles univers. qu'elle brûle, la couronne. que ses pierres se fracassent contre le marbre, pourvu que freya vive encore.
BARGAINING. la supplication, le marchandage. tout donner pour retrouver la soeur perdue. tout sacrifier pour retrouver l'être le plus précieux, l'être qui lui avait été arraché. mille prières offertes à un ciel qui restait silencieux, mille prières à un ciel sourds aux suppliques.
qu'on échange sa place contre celle de la douce freya. une vie contre une vie.
prenez-moi, plutôt qu'elle.DEPRESSION. la peine qui la noie, les larmes qui jaillissent en torrents dès que commence à couler l'eau claire de la douche, l'ouragan de douleur qui la submergeait chaque seconde. éveillée, endormie, il n'était pas de différence. elle pleurait freya même dans ses rêves.
chaque instant comme mille couteaux qui se plantaient dans sa poitrine.
chaque instant où ses os se rebrisaient toujours un peu plus.
chaque instant où elle vivait alors que freya n'était plus.
elle était perdue dans un océan sans pouvoir percevoir la rive, se noyait chaque jour un peu plus. une moitié d'elle arrachée, hors de portée.
mais elle continue à sourire, la princesse, sans laisser voir à quel point, sous le vernis d'un maquillage impeccable, le masque se craquelle.
ACCEPTATION. des mois écoulés. des mois envolés. elle ne rêve plus de freya. ne se noie plus. la peine lui déchire encore le coeur au souvenir de sa soeur, mais le chagrin n'est plus poignard acéré.
elle se reconstruit. se relève. elle fera des jours qu'il lui reste un fragment de vie pour freya. que chaque seconde écoulée rende hommage au souvenir de sa soeur.
et la nouvelle frappe.
elle
est
en
vie( for you, i'll risk it all )
un regard hésitant jeté par-dessus son épaule. elle n'est pas à sa place. ne devrait pas être là. des lunettes noires sur le nez, glissée dans le box d'un pub propret, une bière blonde à peine entamée devant elle. l'endroit n'est pas répréhensible. c'est l'acte et le partenaire qui le sont.
elle serre les dents en le regardant, l'antiroyaliste confortablement installé face à elle, nonchalant et arrogant au possible. elle voudrait le frapper, ne le fait pas, pourtant. c'est avec les mots qu'elle détruit, pas avec les poings.
et il n'est pas l'ennemi, en cet instant, il est l'allié.
l'organisation révolutionnaire à qui elle a fait appel.
c'est la couronne qu'elle veut détruire, pas lui.
il est tout ce qu'elle déteste, pourtant. il lui a pris son père et sa nation, lui a arraché sa sœur et sa mère, pendant un temps.
il lui a tout pris, et elle s'apprête à lui donner plus encore.
'pourquoi je te ferais confiance, princesse?' elle hausse un sourcil, serre encore un peu plus les mâchoires.
parce que freya était en vie.
parce que sa famille n'avait rien appris et se battait encore pour cette couronne.
parce que l'enfant de son frère était à naître, et qu'il était hors de question que la vie de la petite princesse soit menacée.
parce qu'elle veillerait sur eux tous jusqu'à la fin des temps.
parce qu'elle avait encore trop à perdre.
alors quand les mots s'échappent, la voix se fait sifflante. un bref instant, elle s'envole, la douce princesse, révèle l'acier dans lequel elle a été forgée.
'parce que cette couronne m'a déjà trop coûté, et qu'elle ne me coûtera rien de plus.'il sourit, l'homme, se renfonce dans son banc et vide intégralement sa pinte
à elle.
'alors qu'il en soit ainsi.'