le plus tragique dans cette histoire, mon histoire, c'est que ma vie, elle commence au moment où mon cœur se brise. j'ai vingt ans et je quitte bedfordshire sans regarder par-dessus mon épaule. mes chaussures claquent sur le pavé au gré de ma marche rapide, je les entends entre deux chansons, écouteurs enfoncés dans les oreilles, parce qu'il n'y a plus que la musique et l'air frais qui croque mes pommettes et engourdit le bout de mes doigts pour me calmer. je suis seul, les rues sont désertes, il fait nuit noire, il fait froid et je chiale, la manche de mon pull pendue au nez à défaut de ne pas avoir de mouchoirs. je chiale comme j'ai jamais chialé, secoué de spasmes, et j'ai la sensation que si ma peau n'enveloppait pas mon corps, j'aurais déjà explosé en mille morceaux.

ma vie commence à ce moment-là, parce que c'est l'instant où je décide de laisser les vingt premières années de ma vie derrière moi pour recommencer à zéro. loin de ma famille de dégénérés, loin de tout ce qui fait mal, loin de toute cette humiliation qui fait rouler ces larmes de rage sur mes joues.

je suis né en mars, un mois avant le terme, et j'ai appris en laissant traîner mes oreilles d'enfant au cœur de conversations d'adultes que je n'étais qu'un accident. ce sont mes grands-parents paternel qui m'élèvent. j'ai un très vague souvenir de ma mère, que tout le monde semble détester pour une raison qui m'échappe, et mon père, stan, déserte la maison familiale pour l'université. ma grand-mère m'apprend à être ordonné, à garder mon sang froid, à partager ce que je possède, à faire fleurir mon imagination. mon grand-père m'apprend à être poli, à exceller dans tout, à être patient et aimant.

je quitte leur maison sous le bras de stan à l'âge de huit ans et on s'installe dans un appartement dans lequel je décore ma chambre comme je l'entends, c'qui était pas possible chez mes grands-parents. j'ai mon propre poste, sur lequel j'écoute toutes les radios anglaises. j'adore aller à l'école. mes grands-parents me manquent, mais me retrouver en tête à tête avec stan a quelque chose d'assez spécial. il m'impressionne un peu et j'ai peur de trop l'aimer, il y a un sentiment qui grouille à l'intérieur de moi, la peur qu'il s'en aille du jour au lendemain, la peur qu'il me laisse. la peur qu'il ne soit pas fiable, fidèle à moi et à son rôle. je suis petit, mais il y a déjà une certaine réserve. quand j'ai pas envie de dormir, je chante des chansons dans mon lit, à m'en arracher les cordes vocales, à rendre stan dingue.

plus je grandis et plus mes passions s'accentuent et s'accumulent. la musique devient une constante dans ma vie. je suis premier de ma classe, les chiens ne font pas des chats. même si je suis bel et bien un chat et stan un vrai chien. plus ça va et plus j'ai la sensation de cohabiter avec lui qu'autre chose. à mon âge, je sais ce que c'est qu'être un accident. stan avait dix-sept ans quand il m'a eu et j'ai compris depuis un moment qu'il a jamais vraiment voulu de moi. c'est compliqué d'être proche de lui avec ce genre d'idée en tête. et comme j'en parle jamais par peur qu'il confirme toutes mes craintes, l'espace qui nous sépare se transforme en trou noir.

c'est de pire en pire quand ma mère vient régulièrement frapper à la porte de notre appartement, complètement ravagée par la drogue et par l'alcool, pour essayer de me voir. stan m'explique qu'il refuse qu'elle m'approche parce que c'est pas quelqu'un de stable. aussi stupide et inconscient que ça puisse paraître, j'ai envie de la revoir aussi, j'ai envie de l'aider. de la sauver. mais stan est catégorique.

quand même, je la suis presque quand elle m'attend à la sortie du collège. stan vrille, ce jour-là. on déménage dans les vingt-quatre heures pour luton, là où elle n'ira pas nous chercher. et je le déteste pour ça, je lui en veux de ne pas essayer même si je réalise avec le temps qu'il a fait ça principalement pour me protéger. la communication est quasiment rompue, à ce stade. je passe mes journées dehors, tout est mieux que la maison. même le froid en hiver est plus aguicheur qu'une soirée passée seul avec stan.

de toutes les filles avec qui je sors, la première que je ramène à la maison, c'est beezus. premièrement parce qu'elle a nulle part où aller et accessoirement, parce que j'tombe amoureux d'elle, vite, fort. et c'est la dernière erreur que je fais, dans le bordel que constitue les premières années de mon existence.

donc concrètement, ma mère est une junkie suicidaire qui ne me ferait que reculer si on reprenait contact. stan, lui, est un zgeg ambulant que j'ai plus jamais envie de revoir, même pas en peinture. et mes grands-parents, les pauvres, sont à présent trop vieux pour supporter de nouveaux conflits familiaux. je suis désespérément seul. j'ai littéralement plus rien à perdre.

mes pieds me guident jusqu'à la gare et sur le panneau d'affichage, le premier train à partir, c'est celui qui fonce vers cambridge. je m'installe dans un siège après avoir payé pour un billet et quand je ferme les yeux pour ravaler les pleurs qui continuent de couler autour de mes paupières, les affreuses images qui m'ont poussées à jeter des affaires dans un sac me hantent, rejouent dans ma tête comme un mauvais film; stan et beezus sur le canapé, bouche contre bouche.

des frissons de dégoût me traversent et je geins sous l'inconfort en appuyant mes paumes contre mes yeux, sanglotant de nouveau comme le dernier des tocards. sur le coup, je me demande sérieusement ce que j'ai fait pour mériter tout ça. pour la première fois, je me demande même pourquoi je suis venu au monde. je me lamente intérieurement jusqu'à ce que le train ne quitte la gare, répétant en boucle les mots pourquoi moi dans ma tête. je vais même jusqu'à me remettre en question, jusqu'à me demander ce que j'ai fait de travers et j'me sens sérieusement mourir quand mr. brightside de the killers vient en shuffle sur spotify.

it was only a kiss, it was only a kiss.



avec cambridge, j'apprends à être indépendant. personne ne me manque. je trouve un job dans un tesco, une chambre dans un b&b et à la fin du premier mois, j'ai même assez pour m'acheter un peu de weed.

je change de job au bout de six mois, pour devenir livreur de sushis. je me paye des tatouages avec les pourboires qu'on me refile après avoir investi dans une guitare. je rencontre céleste un soir, à la porte du pavillon dans lequel elle habite. elle est française, aupair en angleterre et j'ai un crush instantané quand elle commence à me parler de n'importe quoi pour ne pas avoir à retourner à l'intérieur tout de suite. elle recommande plusieurs fois jusqu'à ce qu'on s'échange nos numéros.

personne ne me manque, mais les marques sont toujours là, c'est pourquoi ma relation avec elle reste purement platonique, bien qu'il y ait une certaine tension. j'ai le béguin de la décennie et encore aujourd'hui, je me demande si elle faisait semblant de pas le voir ou si elle ne voyait réellement en moi qu'un ami. elle me traîne aux quatre coins de la ville, on fait les quatre cent coups ensemble, jusqu'au soir où elle m'attire dans un bar. c'est un mercredi soir. elle me présente son QG, me force à chanter devant tout le monde et je me souviendrais toujours du sentiment qui a traversé mon ventre quand les gens m'ont applaudit à la fin de ma performance. parce que c'est à ce moment-là que j'ai réalisé que c'était de ce genre de reconnaissance dont j'avais besoin.

c'est céleste qui me pousse à faire carrière dans la musique. on est tous les deux ivres avec nos poisons respectifs, mais j'me surprends à prendre sa suggestion au sérieux. on est enfumés jusqu'aux doigts de pieds quand on filme une vidéo de candidature pour cambridge. prendre des décisions qui touchent à mon avenir est toujours plus simple quand je suis dans un état second, j'ai pas le temps de réfléchir à l'échec, j'ai pas le temps de réfléchir aux alternatives, j'ai pas le temps de m'en faire. je reprends don't save me de haim. et céleste m'embrasse, le seul et unique baiser qu'on partage, le jour où je reçois mon mail d'admission.

all my life i wasn't trying to get on a highway, i was wondering which way to go. spending all of my damn time, leaving all the weight behind.



céleste et moi, on se sépare sur le quai de la gare par laquelle je suis arrivé. elle prend le train pour londres de manière à prendre l'eurostar qui la reconduira chez elle et je prends celui qui me mènera à stan. elle me force à faire une pinky promise pour que je ne me dégonfle pas. je déteste avoir à demander de l'argent à stan, mais il le faut. il y a aucune autre solution. avant qu'elle ne grimpe dans le train, elle me promet de revenir. et moi, je lui promets d'étudier sa langue natale.

je me rends malade dans le train, en imaginant stan et beezus toujours ensemble. en une année, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts et c'est une hypothèse que j'écarte pas, jusqu'à la dernière seconde. jusqu'à ce qu'on se retrouve nez-à-nez, lui et moi, sur le pallier de sa porte. je lui fais part de mes projets et il signe le chèque sans broncher.

je crois que c'est la solitude qui le pousse à me suivre, même si il l'admettra probablement jamais. je m'installe dans une cité universitaire et je vagabonde entre ma chambre et la demeure qu'il occupe quand il me fait savoir que les affaires que j'ai laissé derrière moi en quittant bedfordshire sont toujours chez lui, dans des cartons.

nos rapports sont toujours conflictuels, aujourd'hui. j'ai aucune envie de pardonner. j'ai juste envie de voir jusqu'où je peux aller avant qu'il craque. parce qu'il a perdu ma confiance et mon respect et j'ai trop de rancœur à revendre.

donc... nous y voilà. deux ans plus tard.

i swear, i don't really wanna talk it out. this life is a battle ground, and who really wants to hear the sound that comes out of your mouth?